Danseur en plein mouvement.

Il me semble que penser collectivement les changements permet de susciter l’engagement... mais, est-ce qu’il ne serait pas naturel et compréhensible d’avoir peur du changement ?

Les changements sont constants et incessants. Tout système est en mouvement constant pour maintenir un équilibre dynamique. Comme sur un vélo, si vous arrêtez de bouger le système tombe, plus rien ne fonctionne.

Donc le changement maintient le système dans son équilibre. Ce qui veut dire que l’on change souvent pour mieux rester les mêmes. En sport par exemple, les joueurs sur le terrain ne sont jamais immobiles, ils changent de place, de rythme, d’énergie… pourtant chacun reste dans son rôle et mobilise ses propres forces et compétences de manière créative dans le respect des règles du jeu. S’ils font équipe et peuvent gagner des matchs, c’est précisément parce que ces changements dans le système servent à ce que le fonctionnement global du système, lui, ne change pas… Cet équilibre dynamique permet au système de s’adapter en rétroaction à l’extérieur, cela lui permet de maintenir sa dynamique et son efficacité.

Selon Gregory Bateson de l’École de Palo Alto, il y a des changements de niveau 1 et des changements de niveau 2.

Les changements de niveau 1 entrainent la modification de certains facteurs à l’intérieur d’un système qui pourtant demeure relativement stable. Ces changements permettent au système de se maintenir dans son fonctionnement.

Les changements de niveau 2 quant à eux modifient le système lui-même.

C’est pour cela que, parfois un petit changement peut avoir de gros effets, et de gros changements ne provoquer que de petits effets.

S’adapter collectivement et que les parties du système se réajustent dans un équilibre dynamique pour permettre que le tout continue de fonctionner, correspond à un changement de niveau 1. Par exemple, quand la police arrête la personne à la tête de la mafia, l’hydre sort une nouvelle tête et finalement, le changement n’a rien changé. Tout continue comme avant.

Au contraire, on peut croire que légaliser la marijuana, aurait un autre effet. Un nouveau système devrait se mettre en place. Personne ne sait par avance ce qui devrait s’inventer et les dynamiques nouvelles de fonctionnement que cela produirait. Il s’agirait alors d’un changement de niveau 2. Les rouages, les engrenages, les interdépendances, les chaines de réaction… tout aurait à se réajuster, à bouger.

C’est cela qui est déstabilisant dans un changement de niveau 2 : perdre ses repères, voir ses références remises en question. Est-ce qu’il ne serait pas naturel et compréhensible d’en avoir peur ? De chercher à l’éviter ? D’y résister ?

Nous le savons : que le changement soit positif ou négatif, quel que soit le plan en amont, changer génère un sentiment de perte.

Souvent, les dirigeants pensent les modifications nécessaires et construisent un plan pour les mettre en œuvre, puis annoncent ces modalités aux équipes. À partir de ce moment, les rétroactions du système apparaissent. Le changement vient heurter les fonctionnements installés et le système cherche alors à maintenir les dynamiques préexistantes. Les acteurs résistent au changement…

On peut considérer les résistances à partir de différentes grilles de lecture[1], qui ne sont pas nécessairement contradictoires entre elles.

La vision morale pose un jugement en considérant que les acteurs sont irrationnels.

La vision stratégique considère qu’il s’agit de lutter pour conserver ses intérêts et défendre son pouvoir.

La vision historique identifie l’idée, pour les acteurs, de conserver les acquis de la période précédente, tout en prenant en compte que les périodes angoissées génèrent plus de résistance que les périodes optimistes.

La vision psychique prend en compte la volonté des acteurs d’économiser leurs forces mentales, puisque, par exemple, changer d’opinion coûte cher.

La vision systémique considère quant à elle que la résistance est le comportement adapté d’un système lorsqu’il est remis en cause. On parle d’homéostasie, comme lorsque le corps s’adapte par les tremblements ou la sudation pour maintenir sa température.

Accompagner le changement d’un collectif, d’une organisation ou d’une structure nécessite, en tout cas, de prendre en compte ces résistances qui nécessairement adviendront. Il s’agirait même de les considérer comme des ressources du système tout autant que l’envie de changer.

Le déploiement n’est donc pas simplement l’étape finale — et un peu secondaire — du changement. Il en est le cœur. 

Dans cette configuration pyramidale, le changement s’opère en Z[2] :

Il y a la construction des convictions de la nécessité de changer pour certains individus du système, puis la planification des modalités du changement. Cela entraine une partie du collectif, et des résistances sont souvent déjà là à l’œuvre, mais il faut également penser la mobilisation des autres. 

La recherche de sens ne peut se restreindre au premier groupe. Chaque personne impliquée dans l’organisation devra pouvoir reconstruire le sens pour soi et transposer dans sa réalité les conséquences qui en découlent concrètement. La mise en œuvre est donc la continuité de la démarche et non une fin en soi. Elle repart du début et revisite les différentes étapes traversées par le groupe pilote. 

Il me semble donc que penser collectivement les changements dès le départ fait gagner du temps. Pour susciter l’engagement, le principal levier ne réside pas dans la communication, mais dans les processus de travail.

Les étapes d’un tel travail peuvent se décliner ainsi :

  • Clarifier et définir le problème

Il s’agit d’abord de construire un diagnostic partagé. C’est-à-dire, mettre en commun les constats de toutes les parties prenantes, établie un dialogue les un avec les autres pour rassembler les informations et vérifier celles qui resteraient à affiner. Poser et définir le problème et s’entendre sur sa nature, ce qui le constitue et éventuellement ce qui l’explique…

  • Générer des solutions

Vient le moment pour le collectif d’imaginer des pistes de changement, d’améliorations, de transformation ou d’ajustement en mobilisant tous les points de vue et en prenant en compte tous les aspects possibles du problème à résoudre.

  • Évaluer les solutions

Le groupe peut ensuite se donner des critères et des principes pour pouvoir choisir le projet à mener qui sera le plus cohérent et potentiellement le plus efficace. Il s’agit de discriminer ce qui est réaliste, réalisable et pourtant constitue un défi motivant parce que l’on en espère des effets suffisamment globaux. L’objectif est de rechercher l’effet levier. On parle aussi d’effet boule de neige : un effort pour lancer les choses qui provoquera des réactions en chaine vers le changement souhaité et perçu comme nécessaire.

  • Choisir la meilleure solution

À cette étape, il s’agit de faire des choix, de déterminer les changements à mettre en œuvre, de s’entendre sur ce que l’on veut faire concrètement et déterminer comment s’y prendre. L’idéal est alors de prendre une ou des décisions qui font consensus et qui engagent les acteurs à le mettre en œuvre.

  • Appliquer la solution

Il est plus efficace de mettre les gens au travail que de chercher à les convaincre. C’est pourquoi expérimenter est la meilleure manière de vérifier l’adéquation des changements projetés avec les objectifs visés. C’est le moment de faire, de mettre en œuvre.

  • Évaluer les résultats et le processus

Pour que le processus soit complet, évaluer l’effet des changements est incontournable. Faire le bilan de ce qu’ils ont produit ou provoqué permet de se réajuster. Il est également intéressant de prendre en compte les effets indésirables puisqu’ils deviennent de nouveaux constats à analyser dans un prochain diagnostic qui nous portera vers de nouveaux projets…

 

[1] TONNELE, Arnaud, 65 outils pour accompagner le changement individuel et collectif, Ed. Eyrolles, 2014, p.266.

[2] Idem, p.349.

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